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Union des Locataires de Saint-Gilles asbl
15 avril 2020

Carte blanche: «La Belgique est désormais le deuxième pays le plus affecté par le coronavirus dans le monde»

https://plus.lesoir.be/294338/article/2020-04-14/carte-blanche-la-belgique-est-desormais-le-deuxieme-pays-le-plus-affecte-par-le

Carte blanche: «La Belgique est désormais le deuxième pays le plus affecté par le coronavirus dans le monde»

La Belgique est désormais le deuxième pays le plus affecté par le coronavirus dans le monde ! Personne n’en parle, et pourtant avec 3.903 décès liés au coronavirus*, soit 337 par millions d’habitants, elle dépasse l’Italie (329 décès par millions d’habitants) et seule l’Espagne (374) reste plus endeuillée, du moins pour l’instant. Proportionnellement, cela fait dix fois plus que les 36 décès par million d’habitants de l’Allemagne voisine !

Depuis une semaine, le nombre de décès annoncé en Belgique était bien supérieur aux chiffres de nos voisins français et se rapprochait dangereusement de ceux de l’Italie et de l’Espagne. Nous voici donc au-delà de l’Italie qui a pourtant fait la une des médias dans le monde entier.

Au niveau international, l’ampleur de la tragédie qui se joue en Belgique reste cachée par la taille modeste du Royaume. Le nombre de décès liés au coronavirus est supérieur aux chiffres officiels des décès survenus en Chine (qui sont probablement bien inférieurs à la réalité), mais avec 3.903 décès, en termes absolus nous restons loin de la France (14.400), de l’Italie (près de 20.000) ou des États-Unis (plus de 22.000 décès). La situation belge est bien plus préoccupante lorsqu’on considère les chiffres relatifs, qui donnent une bien meilleure idée de l’impact du virus, mais sont bien moins relayés dans les médias. Pourtant, dans le Royaume, le ton des experts et des médias belges se veut rassurant : les nouvelles hospitalisations baissent et l’occupation des unités de soins intensifs est stable.

Comment expliquer dès lors des chiffres aussi alarmants (et le silence relatif autour d’eux) ?

Il faudra du recul pour évaluer l’ampleur de la tragédie, et plus encore pour expliquer ces chiffres et pointer les facteurs qui ont amplifié l’impact de l’épidémie dans notre pays plus qu’ailleurs. Ce n’est pourtant pas se précipiter que d’évoquer dès à présent quelques pistes, non exhaustives, qui contribuent cependant à mieux appréhender la réalité que reflètent ces chiffres, voire ce qui nous y a menés.

De meilleures statistiques

Une première explication tient aux chiffres eux-mêmes et à la manière dont le comptage est opéré. Dans notre pays, les décès dont les médecins soupçonnent qu’ils sont liés au Covid -19 sont comptabilisés, même si les personnes n’ont pas été testées. C’est sans conteste cette manière de comptabiliser les décès qui permet d’avoir une meilleure représentation de l’ampleur de la pandémie et donc d’évaluer les moyens à mettre en œuvre pour la contenir. La plupart des pays, dont la France et l’Italie, se refusent pourtant à intégrer les cas des personnes décédées qui n’ont pas été testées. Les tests disponibles étant largement insuffisants, de nombreuses personnes décèdent du Covid sans jamais avoir été testées et ne sont donc pas reprises dans les statistiques nationales, contrairement à ce qui se fait en Belgique. La valeur comparative des statistiques nationales portant sur l’impact de ce nouveau virus doit donc être relativisée. Il n’empêche, si des chiffres plus précis nous diront probablement que d’autres pays comptent proportionnellement davantage de décès liés au coronavirus qu’ils ne l’affirment aujourd’hui, la Belgique reste dans le peloton de tête des pays les plus durement touchés à la mi-avril.

Parmi les facteurs régulièrement avancés, la densité de la population figure parmi les facteurs qui ont facilité la propagation du virus. Or notre pays est l’un des plus densément peuplé d’Europe (374 habitants au km²). Ce n’est cependant qu’une explication très partielle car le Land allemand voisin (Nordrhein-Westfalen) compte une densité bien plus forte (526 habitants au km²) mais bien moins de décès liés au coronavirus que notre pays (545 décès pour 18 millions d’habitants). Et si certains pointent la densité de la population à New York, parmi les facteurs qui expliquent les ravages du virus dans cette ville, comment expliquent-ils que le CoVid-19 n’a fait que quatre victimes à Hong Kong ?

La tragédie est ailleurs

Une seconde explication, bien plus tragique, du hiatus entre le ton plutôt rassurant dans les médias et la terrible réalité des chiffres tient au fait que nombre d’experts, de médecins, de médias et de décideurs politiques se sont focalisés sur un indicateur qui n’était pas le bon pour refléter l’ampleur de la pandémie : celui des hospitalisations et du taux de saturation des unités de soins intensifs. Depuis une semaine, ces indicateurs sont à la baisse et pourtant le nombre de décès ne cesse d’augmenter, et dans des proportions effrayantes. Certes, cet écart s’explique en partie par le délai entre l’entrée à l’hôpital et le décès des patients. Mais on devrait alors avoir assisté à une stabilisation ou une décrue du nombre de décès. Or c’est tout le contraire qui se produit et une autre explication se fait jour depuis début avril.

Depuis les premiers jours, les experts, les médias et les responsables politiques belges suivaient de près les indicateurs liés aux hospitalisations et à l’occupation des lits de soins intensifs. Il s’agissait d’éviter à tout prix que ne se reproduisent dans notre pays les cas si tragiques des hôpitaux lombards ou de l’est de la France où des médecins devaient choisir quels patients pouvaient avoir accès aux soins intensifs et peut-être être sauvés, et lesquels ne le seraient pas. La situation reste sérieuse dans les hôpitaux belges mais les débordements massifs des unités de soins intensifs ont été évités. Nous sommes probablement au pic de l’épidémie (ou en tout cas à un « plateau ») et le taux d’occupation des unités de soins intensifs n’a jamais dépassé 54 %. Mais alors que tous les regards étaient braqués sur ces indicateurs et sur nos hôpitaux, c’est ailleurs que se déroule la tragédie, à huis clos, derrière les murs des maisons de repos. Les chiffres ont tardé, mais ils sont aujourd’hui sans équivoque : 43 % des décès (soit 1687 personnes au 13 avril) liés au coronavirus ne se produisent pas dans les hôpitaux mais dans les maisons de repos et de soin.

La société belge a décidé que les vies de ces aînés confinés comptaient bien moins que celles des « actifs », voire qu’elles ne comptaient pas, comme le suggère le fait que ces décès n’ont été comptabilisés que tardivement dans les statistiques nationales, longtemps restées limitées aux décès à l’hôpital. C’est une tragédie humaine, sociale et éthique qui nous pose d’innombrables questions. Comment ce secteur n’a-t-il pas mieux été préparé à l’arrivée de l’épidémie alors qu’on savait depuis janvier que le virus affectait particulièrement les personnes âgées ? Quelle est la proportion de ces décès qui auraient pu être évités s’ils avaient bénéficié de soin dans les hôpitaux ? Quels moyens et quelles énergies ont été accaparés pour éviter à tout prix le débordement de nos hôpitaux auraient pu sauver des vies s’ils avaient été alloués à des maisons de repos ? Combien de personnes âgées atteintes du coronavirus a-t-on maintenues dans les maisons de repos malgré l’aggravation de la maladie alors que l’accès aux soins dans les hôpitaux aurait pu les sauver ?

Avec les résidents des maisons de repos, nous avons aussi oublié les personnes qui les soignent et les nourrissent. Elles ont souvent travaillé sans aucune protection et sont aujourd’hui nombreuses à être infectées par le coronavirus. Comme le résumait un médecin urgentiste, le nombre de contaminations au coronavirus parmi le personnel des maisons de repos bruxelloises est « dramatique ». Ceux qui se font tester « sont quasiment tous positifs ». En continuant courageusement à travailler malgré leur état, elles ont en outre transmis le virus dans les maisons de repos mais aussi autour d’eux. Elles ont fait preuve de courage et d’humanité. Elles paient aujourd’hui un prix très lourd pour avoir assumé seules, et souvent sans protection, la responsabilité de toute la société face à nos aînés. Elles ont également contribué à transmettre malgré elles le virus aux pensionnaires qu’elles visitent et soignent. Et la situation est loin d’être réglée. On refuse aujourd’hui encore des masques aux personnels des maisons de repos sous prétexte qu’un cas n’a pas encore été identifié dans leur établissement, comme vient de le dénoncer le syndicat ACV. Preuve que les responsables politiques n’ont pas encore compris que c’était là que se jouait la tragédie du coronavirus en Belgique. Une situation d’autant plus intolérable que, contrairement aux effets d’annonce, les tests de dépistages massifs et systématiques dans les maisons de repos prendront plusieurs semaines.

Notons cependant que la Belgique n’est pas le seul pays concerné par cette tragédie. Les informations qui parviennent avec beaucoup de retard sur la situation des établissements pour personnes âgées en France, Espagne, Italie et dans bien d’autres pays laissent penser que le nombre de décès officiels y est encore davantage sous-évalué qu’en Belgique.

Un démarrage retardé par l’absence de gouvernement fédéral

Un troisième ensemble d’explications relève de l’importance de la gestion politique d’une telle épidémie. En Belgique comme ailleurs, la pandémie révèle et accentue les problèmes et les limites des sociétés et des régimes politiques. Un nombre si élevé de décès indique des problèmes majeurs dans la manière dont le système de santé et de soin est organisé dans notre pays, mais aussi plus généralement de l’organisation politique et sociale de notre pays. Les problèmes d’efficacité et de coordination des politiques publiques ne sont pas neufs, mais ils se traduisent cette fois par des centaines, et probablement des milliers, de décès supplémentaires par rapport à des pays comparables.

Le contraste avec notre voisin allemand, où 128.000 cas sont recensés mais avec moins de décès qu’en Belgique (3.022 pour 83 millions d’habitants, soit 36 décès par million d’habitants) montre que l’efficacité de la gestion politique et publique de cette pandémie peut être déterminante. En Belgique, nous payons probablement aujourd’hui l’absence de gouvernement et les embrouilles au niveau fédéral d’avant le 17 mars. Le nombre de morts un mois plus tard reflète le manque d’efficacité et de coordination qui régnait entre les huit ministres en charge de la santé au niveau fédéral, régional et communautaire face à l’épidémie qui s’annonçait. Notre pays n’était pas en mesure de profiter des semaines qui ont précédé l’arrivée massive du virus pour se préparer et constituer des stocks de matériel de protection et de réactifs pour les tests. Une situation politique à laquelle une majorité de Belges s’étaient habitués au point de s’en accommoder s’est révélée dramatique lorsque notre pays a été mis à l’épreuve par la pandémie et se traduit probablement aujourd’hui en centaines de morts additionnels. Le coronavirus a frappé notre pays alors que nous manquions non seulement de tests, mais aussi de matériel de protection de base pour le personnel soignant. Combler ce retard et trouver des masques et des réactifs pour les tests au cœur de la crise est d’autant plus difficile que dans la « bataille globale  » pour obtenir du matériel de protection, la taille et l’influence internationale limitée de notre pays sur la scène internationale ne facilite guère les choses, alors que les pays s’empoignent pour parvenir à acheter des masques, des gants ou des réactifs. C’est également au niveau du nombre de tests que notre pays a pris du retard, ce qui est préoccupant quand on sait à quel point cette mesure est essentielle pour réduire la propagation du virus.

La tragédie belge

Notre pays a des atouts pour limiter l’impact du coronavirus, à commencer par un état social qui facilite le confinement et garantit une couverture sociale et un accès aux soins à tous, des hôpitaux publics de qualité et une société moins inégalitaire que bien d’autres pays. Les chiffres du nombre de décès par habitants nous montrent que, proportionnellement, bien plus de familles belges ont perdu l’un des leurs que ce n’est le cas dans des pays comparables. Certes, ces chiffres doivent être relativisés lorsqu’il s’agit de comparaisons internationales. Ils attestent cependant de l’ampleur de la tragédie qui place notre pays parmi les plus affectés au monde.

Le moment venu, il faudra en analyser les causes. Celles-ci ne peuvent être réduites à des responsabilités politiques individuelles. Un bilan approfondi demandera davantage de recul et une réflexion dans laquelle les acteurs politiques mais aussi les citoyens et les acteurs associatifs devront avoir un rôle, aux côtés des médecins et infirmiers, des épidémiologistes et biologistes, mais aussi des chercheurs en sciences sociales, car l’impact de ce virus ne relève pas que de la biologie, il est aussi (et peut-être avant tout) social et politique.

A ce stade, il est malheureusement déjà un constat indéniable : dans notre pays, le principe de l’accès aux soins de santé pour tous a été nié à une partie de la population, invisible car enfermée dans des maisons de repos. C’est inconcevable pour une démocratie avancée dans laquelle l’État social devait protection à ces personnes vulnérables. C’est inconcevable dans une société où, comme l’a rappelé la chancelière Angela Merkel dans son allocution du 18 mars, le sens même d’une communauté démocratique tient dans l’affirmation que « chaque vie compte ». C’était inconcevable en Belgique et les chiffres nous montrent que c’est pourtant arrivé au cours des quatre dernières semaines, dans des proportions dramatiques.

Les chiffres concernant l’épidémie du coronavirus ont été repris du site www.worldometers.info/coronavirus le 13 avril 2020 à 15 heures.

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