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Union des Locataires de Saint-Gilles asbl
18 mars 2008

Carte Blanche publiée dans "Le Soir" du 15 et 16 mars 2008

L’Habitat de l'homme en danger !

Alors que des milliers de familles et de personnes n’arrivent plus à Bruxelles, comme dans d’autres villes, à payer leur loyer, à se chauffer, à se loger convenablement, à s’offrir l’achat d’un flat, voire même d’un simple et dégradé débarras et voient de plus en plus leurs espaces familiers et vivants être investis par une main invisible, étrange et sordide, voilà qu’un Salon, récemment, leur proposait, paradoxalement, pour leur avenir, de penser à bâtir ou à rénover, par temps durs, avec des matériaux durables !

Alors aussi que ces mêmes familles et personnes sont d’ores et déjà oubliées en faveur de préoccupations politiques liées aux moyens d’élever la Région Bruxelloise à la hauteur de l’actuelle « compétitivité économique » ouverte avec d’autres grandes villes et capitales européennes, voilà donc que l’amplification médiatique de ce Salon visait à accentuer encore plus cet oubli.

Parons donc à cet oubli en rappelant ceci. La misère locative en Région Bruxelloise a assurément atteint un tel degré d’accumulation qu’elle en est devenue spectacle. C’est certain ! Or, le propre de tout spectacle est non pas de donner à penser, mais plutôt de falsifier la vie réelle vécue par les gens, de la noyer sous un amas de divertissements à la vertu très anesthésiante. À quand, en ce sens, une « Lutte contre la spectaclomanie » ? Bref, la misère locative mise en images n’est pas la misère locative vécue. Cette dernière, contrairement à ce qu’on nous chante, aucune image ne peut la saisir, l’arrêter. Elle troue plutôt l’image, se vit singulièrement dans un corps parlant que nul Striptease ou show médiatique ne peut exhiber.

C’est assurément une véritable violence politico-économique que ce corps parlant subit lorsqu’il sent que la demeure où il habite n’existe que par la bonté d’un propriétaire qui peut, du jour au lendemain, se montrer cruel en mettant en demeure, ce corps, de « déguerpir » (sic). Et cette violence est d’autant plus crue aujourd’hui quand des corps parlants chanceux occupent, encore, des appartements privés aux loyers modérés, mais se savent en sursis, à la merci d’un renon qui risquerait de les confronter péniblement à l’impossibilité de se reloger – du moins, en Région Bruxelloise –, à la déchéance et à l’errance (l’ère rance !) d’un probable exil vers un « Ailleurs » sans nom.

Si l’homme bâtit, nous dit un éminent penseur, c’est du fait même qu’il est un habitant. L’homme habite, donc il construit. D’habitude, on pense plutôt l’inverse : c’est parce qu’il construit que l’homme habite. Étrange retournement qui est au fond fidèle à la dévastation économique : c’est parce qu’il possède des soussous dans sa popoche que l’homme peut bâtir et/ou habiter ! Du coup, l’habitation est sous condition de l’économie. C’est désormais celle-ci qui prescrit, et depuis belle lurette, qui est digne ou non de vivre au monde en habitant – en habitant, bien entendu, sous haute perfusion des artifices ou des spectacles économiques ! Cette logique sordide produit, du coup, des non-habitants, par exemple, un « SDF » ou un « locataire social », qu’elle s’empresse de confiner au statut de « déchet » ou de « malade ». Bref, l’économie, on le sait, exècre celles et ceux qui ni ne l’alimentent ni ne la sustentent. Une réalité poétique : Habiter le monde en mortel sur terre et sous le ciel, s’est assurément transmuée en « banale » monstruosité économique : Habiter l’immonde en immortel travailleur acharné sur la bouse nauséabonde du Chiffre et sous le ciel des caprices boursiers.

Que l’Economie le veuille ou non, tout homme habite un corps et une demeure - il habite aussi une histoire familiale, une rue, un quartier, une ville, un pays et un « monde ». Du corps, contrairement à une demeure, cet être en « jouit » sans le payement d’aucun loyer. La demeure où il réside n’est au fond que le prolongement de ce corps – léger ou lourd - qu’il porte. Il prend assurément soin de son corps comme il prend soin de sa demeure. Par ailleurs, à l’instar des parties « publiques » et « intimes » de son corps, cette demeure lui permet de vivre son « vivre ensemble » et « intime » au sein même de l’habillement ou de la morale que la civilisation lui prescrit. Qu’est-ce qu’il advient dès lors de ce corps lorsque sa demeure devient hors de prix ? Lorsqu’il se sent arrimé à une demeure « en sursis », étrange et aliénée à une logique économique  insouciante de la « dynamique pulsionnelle », « publique », « intime » et « vivante » qui lient un « corps-parlant » à sa demeure ? Et qu’est-ce qu’il advient de ce corps lorsqu’il est expulsé ou exclu de sa demeure ?  La souffrance et le ressentiment, sans aucun doute !

Sophie Knubben, David Vanhoolandt
Assistants sociaux à l’Association des Locataires de Molenbeek et Koekelberg (ALMK)

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