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Union des Locataires de Saint-Gilles asbl
8 mars 2013

INTOX MEDIATIQUE: Le Gesù, une Babel de précarité

http://archives.lesoir.be/le-ges%F9-une-babel-de-precarite-le-123-rue-royale-_t-20130308-02ALM9.html

STEVENS,OLIVIER
Page 13
Vendredi 8 mars 2013

Social Les occupants tentent de faire face aux aléas d’une crise qui n’en finit pas

Pour les amoureux du Botanique, impossible de passer à côté de cette église du Gesù située rue Royale juste en face de son entrée principale. Un ancien cloître discret un temps connu par les amateurs de concerts de jazz, de blues ou d’expositions de peinture. C’est en 1860 que les pères jésuites firent élever cette église de style néogothique sur les plans de l’architecte Louis Pavot.

Désacralisée, elle est aujourd’hui occupée par un collectif pour le droit au logement. Ils s’y sont installés au moment de la vente du cloître désacralisé à un promoteur privé qui voulait en faire un hôtel de luxe. « Cet hiver est long, très long…, soupire Marouane, un des quelque deux cents squatteurs qui occupent le bâtiment depuis le printemps 2010. Ici, il n’y a pas de chauffage, les couloirs sont hauts, larges, ouverts à tous vents. Comme l’hiver se prolonge, les températures sont de plus en plus basses dans les logements. On se calfeutre comme on peut en bloquant des tapis ou des couvertures contre les portes et les fenêtres ; certains disposent de petits appareils de chauffage d’appoint mais ce n’est pas suffisant. De plus, l’électricité est ici générée au moyen de raccords de fortune donc elle saute souvent… »

Marouane ne se lamente pas. Il décrit simplement au plus juste une situation qui n’a que trop duré pour lui comme pour les autres habitants de ce squat. « Nous sommes à peu près 200 personnes, avec ou sans papiers, de toutes nationalités, dont nombreuses familles avec enfants, scolarisés ou non. Un contrat d’occupation temporaire a été signé avec le propriétaire des lieux, mais nous sommes cependant toujours sous la menace d’une expulsion qui devrait intervenir vers le mois de juin puis qu’il est question de construire un hôtel ici », explique Victor, un Camerounais, qui se dévoue tant bien que mal pour parler au nom des squatteurs avec les autorités.

Ingénieur commercial, touché par la crise, il est venu de France avec sa femme et ses deux enfants. D’abord logés dans un petit hôtel, ils ont atterri ici après quelques semaines de galère. Et c’est d’ici qu’il veut rebondir, donner un nouveau tournant à sa vie, avant que ses finances lui permettent de vivre ailleurs. « J’essaie de me démener pour que nous soyons mieux, pour que nous soyons considérés, explique-t-il. Officiellement 134 personnes vivent ici ; beaucoup sont célibataires mais la situation est encore plus difficile pour les familles parfois nombreuses qui occupent les six étages du bâtiment. » Selon lui, trois soucis majeurs se posent ici : l’hygiène, la sécurité et l’exclusion sociale.

Deux toilettes qui débordent depuis longtemps et une douche capricieuse par étage ; des fils électriques en guirlande se baladant d’un étage à l’autre, une odeur pestilentielle autour de l’amas de détritus divers déposés dans la cour intérieure, des portes défoncées, les escaliers communs jamais nettoyés : voilà quelques aspects de la vie quotidienne ici. Deux groupes sont majoritaires dans l’enceinte du Gesù : des Gitans slovaques et des Marocains. Les tensions entre les deux communautés ont provoqué plus d’une vingtaine d’interventions de la police depuis la première occupation des lieux. Les squatteurs de longue date provoquent moins de troubles que les clandestins y trouvant refuge pour une ou quelques nuits. La police confirme quelques interventions pour possession de drogue et prostitution. Les rixes entre Maghrébins et Gitans sont rares mais très violentes. « Le plus difficile est de sortir d’ici, de se trouver un avenir, explique Victor. Seuls 2 % partent d’ici car les problèmes s’accumulent. Séjour illégal, manque chronique d’argent, enfants pas scolarisés. Il s’agit d’une survie au long cours. » Cependant un début de vie commune s’est organisé. « Nous tenons une réunion hebdomadaire pour discuter entre nous. Les habitants sont tenus au courant de l’avancée des négociations avec le propriétaire, avec l’abbé Van der Biest de l’église des Marolles qui nous soutient, avec la commune, avec différentes associations d’entraide. Nous poussons à la scolarisation des enfants, à la régularisation des situations administratives, à la recherche d’emploi. Nous veillons à ce que tous paient un “loyer” souvent équivalent à 20 euros par mois. Des associations proposent aussi des cours de français mais ils sont peu suivis. »

« Dialogue Afrique - Europe a aussi pris en charge l’aide alimentaire de première nécessité, mais deux tonnes de riz restent pour l’instant bloquées dans un entrepôt à Ixelles car nous avons de problèmes d’intendance pour les acheminer jusqu’ici… L’état d’esprit est positif mais nous n’arrivons pas aux mêmes résultats qu’au 123 », déplore un des membres du collectif.

Le 123 rue Royale, un modèle du genre ?

Squat lui aussi, le « 123 » rue Royale fait figure de réussite voire de modèle dans le microcosme du logement précaire bruxellois. Historiquement, il s’inscrit dans la grande série des occupations collectives de logements laissés vides en Région bruxelloise : celle de l’occupation des anciens bureaux de taxes de la place Morichar en 2009, celle de l’hôtel Tagawa en 2007. Bart De Win est ici depuis quinze ans. A 46 ans, c’est une figure de la lutte pour le droit au logement. « Nous voyons tous les jours des gens dans la rue ; la crise qui s’aggrave conduit de plus en plus à une précarité élémentaire. La grande pauvreté gagne du terrain et provoque des expulsions en série. Mais des solutions existent : si le droit privé prime sur le droit au logement, il existe quelques articles se référant au “droit de gestion publique” dans le code du logement. »

C’est sur base de ces articles que, depuis quatre ans, un collectif occupe les anciens bureaux de la Communauté française au 123 rue Royale. Au total, soixante-cinq personnes, cinq familles et neuf enfants ; le reste étant composé de couples sans enfants ou d’isolés. « Après plusieurs expulsions très médiatisées de différents endroits de la capitale, et une nuit sous tentes dans le Jardin botanique, nous nous sommes dirigés vers ici. Les bureaux étaient libres depuis plusieurs années. Et on y a trouvé de fait une certaine stabilité, explique Bart De Win. Nous avons signé une Convention d’occupation collective qui ne précise pas la durée de cession du bâtiment, mais qui offre la possibilité d’un préavis possible de six mois, ce qui est mieux que l’intranquillité constante des squatteurs ou des sans-abri. »

De fait, du premier coup d’œil, la situation est diamétralement opposée à celle que connaissent les occupants de Gesù. Ici aussi, une réunion hebdomadaire d’organisation générale a lieu le mardi soir. Mais l’organisation ne se limite pas à entériner les conflits en cours et à les endiguer vaille que vaille. Il s’agit d’une véritable volonté de vivre ensemble. C’est d’ailleurs le nom du leur collectif : « Groupe Vivre Ensemble-Logement Solidaire ». La philosophie émane des mouvements alternatifs des années soixante et septante : les portraits du Che, de Bob Marley ou des slogans soixante-huitards et provocs affichés sur les murs de différents appartements ne trompent pas. « On vit ensemble même si on ne se connaît pas. C’est une façon plus critique de se poser face à la société actuelle. Toute la philosophie du monde libéral est très individualiste. Nous sommes à contre-courant ; notre quête est peut-être très idéaliste, mais nous voulons proposer autre chose : plus qu’une communauté, nous sommes une collectivité », explique Bart.

En pratique cela donne des réalisations étonnantes en milieu précaire : beaucoup de nationalités différentes, quelques sans-papiers, une balance hommes/femmes équilibrée, des enfants, des personnes âgées, des animaux domestiques… et une vie commune pourtant bien régulée. Des douches individuelles ont été installées ainsi qu’un grand réfectoire commun et des petites cuisines à chaque étage.

Moins surpeuplé que Gesù, le 123 offre un panel d’activités ou d’espaces communs : un atelier de réparation de vélos, un autre apprenant les techniques de travail du bois, bureau administratif collectif, un local pour enfants, une salle télé-médias, un atelier informatique, un autre de couture et une petite chambre servant de salle de sport, un atelier peinture, une friperie à prix libre permettant d’échanger des vêtements et enfin un bar où chaque dimanche le collectif propose une table d’hôte ouverte à tous.

Tous les matériels usagés sont récupérés, réparés, revendus, recyclés ou jetés dans un esprit de partage et de soutien. « L’important est de maintenir un espace de vie sociale ouvert, sûr, d’avoir des idées de développement et des projets qui s’ouvrent, souligne Bart De Win. Nous ne sommes pas complètement fermés et en marge de la société, explique-t-il. Nous recherchons une cohabitation paisible dans des temps difficiles. Il n’y a pas de réinsertion obligatoire. La sécurité est assurée et nous investissons ce qui est nécessaire pour rendre le logement habitable (les rapports des pompiers quant à la sécurité des logements sont positifs), mais surtout nous proposons une certaine convivialité. Les premiers soins de santé peuvent être donnés par les habitants, les besoins des uns et des autres sont rencontrés par la totalité des occupants du 123. »

Une solidarité qui contraste avec l’ambiance du Gesù.

Ces derniers attendent avec inquiétude une possible expulsion au printemps mais surtout l’angoisse, l’insécurité et la précarité quotidienne qui les tenaillent font de leur quotidien un véritable enfer.

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