Le millionnaire des SDF

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L’hiver dernier, 12 SDF ont été logés gratuitement à Bruxelles par un mécène luxembourgeois. Trois ont trouvé du travail

BRUXELLES Grâce à sa générosité, 12 SDF bruxellois ont passé l’hiver au sec et au chaud, et certains auxquels ce bienfaiteur avait tendu la main ont, grâce à cela, trouvé du travail au printemps. Certains veulent raconter cette histoire peu banale et rendre hommage à cet homme à qui nous avons parlé mais qui a refusé de se laisser interviewer.

“Quand j’ai offert à ces gens de les héberger, c’était sans arrière-pensée et certainement pas pour avoir ma photo dans les journaux.” Le geste n’en est que plus beau. Le 16 novembre 2006, la police déloge 70 clochards qui avaient espéré passer les mois difficiles dans leur squat au 103 du boulevard de Waterloo. Froid, pluie. À la veille de l’hiver, tous se retrouvaient à la rue avec leur maigre baluchon.

Il se fait que, parmi les personnes qui assistaient à la scène se trouvait un monsieur qui n’a pas pu garder les bras croisés. Cet homme providentiel, un Luxembourgeois aisé, propriétaire immobilier à Bruxelles, a abordé quelques- uns des malheureux. Il ne pouvait pas les recueillir tous; il a fallu faire un choix.

Did, un des douze, pense que le choix s’est fait dans le regard, au feeling. "Notre bienfaiteur, dit-il, "m’a donné l’impression d’avoir voulu choisir ceux qui lui semblaient vraiment animés du désir de s’en sortir." Leur millionnaire a désigné douze SDF (qui, par humour, se sont ensuite surnommés "les 12 Salopards". Dans le nombre des élus, une dame de 63 ans qui avait dormi dans le métro et 11 hommes, Johan, Henri, Victor qui a presque 70 ans, Stanislas qui a 23 ans, Did qui a la quarantaine, et quelques autres.

Did se souvient qu’il n’avait même pas de sac de couchage. Ce Français savoyard de La Rochelle possédait un sac de sport avec 2 jeans, 3 chemises, des bottines, une brosse à dents, un Bic jetable pour se raser, et une couverture trouvée dans un container. Arrivé de France, Did avait jeté ses dernières économies dans un billet de Thalys Paris-Nord/Bruxelles-Midi.

Il ne lui restait rien

Ils parlent peu de leur bienfaiteur. "Il n’aimerait pas cela.” Ils lui donnent 44 ans, le décrivent comme plutôt pas très grand, dégarni du front, "grande g…" mais jovial : il leur ouvrait sa maison. Douze lits nous attendaient avec sommier et matelas. Un bel immeuble de trois étages avec greniers et jardin (où, depuis le printemps, s’organisent d’interminables barbecues…). C’était chauffé. Il y avait l’eau, le gaz, l’électricité. Le généreux mécène payait et paie encore les factures. La seule chose qu’il ait demandée à chacun, c’est du soin, de la propreté et de veiller à entretenir les lieux. Il est arrivé à la bonne âme d’apporter des victuailles et d’avancer de l’argent de poche. Pour autant, ce ne fut pas l’hôtel. Il fallait parfois mettre les points sur les i, réunir la communauté et "faire le point"

Anecdote

Le bienfaiteur a voulu se rendre compte par lui-même de la dureté de vivre à la rue. Avec deux des protégés, il s’est rendu à l’entrée de la gare du Midi et, vêtu comme eux, a tendu la main aux passants : après deux heures de manche, il avait déjà récolté 5 cents. Il y a eu des incidents, des départs. Aujourd’hui, ils ne sont plus que quelques-uns à vivre chez lui. Certains l’ont insulté en claquant la porte. Mais ceux qui restent ont retrouvé la dignité et la confiance en soi, cherché et trouvé du boulot.

Deux travaillent dans le bâtiment, un troisième fait merveille dans la restauration. Ils parlent d’un lieu où ils ont beaucoup rigolé pendant l’hiver, s’endormant souvent aux petites heures, peut-être à écouter Imagine de John Lennon, et à refaire le monde avec ce mécène. Ils le remercient. Sur la porte, sur les sonnettes, il y a 12 étiquettes. Toutes sont de la même couleur jaune, toutes ont exactement les mêmes dimensions.

Gilbert Dupont