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Union des Locataires de Saint-Gilles asbl
16 avril 2009

De l’« abritat » social pour « bétail humain » ?

http://archives.lesoir.be/carte-blanche-de-l-%AB-abritat-%BB-social-pour-%AB_t-20090416-00MLXF.html

Carte blanche publiée dans le journal "Le Soir" du jeudi 16 avril 2009

Carte blanche: Mohamed Ben Merieme, Assistant social à l’Association des locataires de Molenbeek et Koekelberg (ALMK).

A l’heure où certains s’émerveillent devant le processus de gentryfication, soit l’arrivée salvatrice de « nouveaux habitants », et donc de nouvelles richesses, financières et culturelles, en Région bruxelloise ; à l’heure aussi où certains préconisent la sophrologie, voire vraisemblablement la pratique des arts martiaux, aux employés confrontés à des locataires sociaux « en colère », « agressifs » ou « capricieux », il serait, selon nous, opportun de dresser quelques constats accablants sur l’état actuel d’un certain – non pas habitat, mais – « abritat » social que des milliers de personnes et de familles se coltinent chaque jour, chaque heure, chaque seconde, en Région bruxelloise.

Mais, au préalable, rappelons ceci. Pour se maintenir en Région bruxelloise et sauvegarder leur dignité d’êtres parlants et d’habitants, des milliers de personnes et de familles n’ont, à l’heure actuelle, faute de moyens financiers, d’autre solution que de solliciter ou d’habiter un logement social.

Du coup, les demandes en logements sociaux sont nombreuses alors que l’offre, elle, est dérisoire. Dérisoire, du fait que le parc locatif social d’une part, ne constitue que 8 % du patrimoine immobilier bruxellois et d’autre part, est à plus de 90 %, d’ores et déjà, occupé.

À l’heure du « sauve qui peut ! », faudrait-il donc, aujourd’hui, s’estimer heureux de vivre dans un logement social ?

Heureux ? Quelques cas parmi de centaines d’autres.

Madame A. nous consulte. Occupant un logement social de deux chambres à coucher, elle souhaite, nous dit-elle, une « mutation » vers un logement social de trois chambres à coucher. Elle a en effet deux enfants – une fille de 7 ans et un garçon de 4 ans – et la chambre de ces derniers ne fait guère plus de six mètres carrés de superficie. « La vie, conclut-elle, est devenue irrespirable car les enfants ne cessent de s’agresser ». Or, au regard de la législation en vigueur, la famille occupe un logement « adapté ».

Dit autrement, le législateur suppose qu’une chambre de cette superficie est complètement adéquate à l’accueil de deux jeunes enfants. Pourtant, un bureau et une armoire ne suffisent-ils pas à phagocyter 50 % de la superficie ? Et en ajoutant les deux lits superposés, le vide – comme lieu de vie, de jeux, d’accueil, de désirs, de rêves et de méditations – n’a-t-il pas déjà déserté les lieux ? C’est certain !

Quoi qu’il en soit, la famille, à l’heure actuelle, ne peut donc pas prétendre à une mutation vers un logement social de trois chambres : « Il vous faudra attendre que votre fille atteigne ses 9 ans. Et encore ! La file, lui a-t-on dit, est longue et s’allonge de jour en jour pour les logements de trois chambres ! »

La famille D. habite depuis plus de douze ans dans un logement social. À l’instar du cas précédent, leur logement ne dispose que de deux chambres à coucher. Mais, ici, les enfants sont des adolescents – une fille de 18 ans et un garçon de 16 ans – contraints de se partager une superficie de huit mètres carrés ! « Si votre demande de mutation (introduite en 2003) vers un trois-chambres est fondée, il vous faudra néanmoins, leur a-t-on répondu du côté de la Société Immobilière du service public (Sisp), patienter au moins quatre ans ! Sinon, cherchez ailleurs ! »

N’omettons pas d’ajouter que le couple, lui, dort dans une chambre qui ne fait guère plus de dix mètres carrés.

Un dernier cas. La famille M. vit, depuis 15 ans, dans un logement social – à nouveau – de deux chambres. Mais cette fois-ci, le logement est occupé par six personnes : les parents et quatre enfants. La chambre des quatre enfants fait, exactement, 7,6 mètres carrés ! Selon les critères en vigueur où l’âge et le sexe des enfants sont pris en considération, la famille solliciterait (doit solliciter) un logement de 4 chambres. Or, voici la réponse de la Sisp qu’a reçue la famille : « Ces deux dernières années, nous n’avons eu que deux attributions de logements de quatre chambres ! Par ailleurs, vous ne récoltez pas assez de points de priorité que pour prétendre à un tel logement dans un avenir proche. » Voilà qui est dit !

Trois cas. Trois familles où la survie journalière est de mise et l’intimité, de chacun et chacune, démise. Trois situations locatives qui trahissent le versant « biopolitique » d’un certain « abritat » social où l’essentiel est que les familles disposent d’un « toit », d’un « abri » pour se protéger des agressions du dehors, manger, boire, se laver, se vêtir, se distraire et dormir. Pour les désirs, ils repasseront ! En effet, outre que son architecture y est béton blindé contre les reliefs, les couleurs et les musiques pétrifiées, ne voit-on pas qu’un certain abritat social n’a été pensé qu’en termes purement fonctionnels ou « biologiques » ? Dit autrement, un abritat social ne nous est-il pas donné à voir comme ne répondant qu’aux uniques « besoins » – et non « désirs » – supposés des locataires sociaux ? Un abritat social dispose assurément d’une petite cuisine pour « la bouffe », d’un petit salon pour « le regroupement familial » et « la télé », de petites chambres pour « le dodo », d’un coin douche pour « la propreté » et d’un WC pour « l’évacuation ». Les désirs des habitants sont totalement absents. Quid en effet d’une bibliothèque pour la lecture ? de l’accueil des autres, étrangers à la famille ? de l’intimité ? de l’amour ? du rêve ? du plaisir ou de la jouissance

d’habiter ? du désir de solitude ? de la poésie ?…

Combien de familles sont-elles ainsi contraintes à vivre, aujourd’hui, dans des logements réduits à des abris où les enfants sont priés de sortir, s’amuser dehors pour libérer de l’espace, où les couples bâillonnent les râles et cris de leurs extases de peur que les enfants ou les voisins n’entendent, où le vide n’arrive même plus à résider, à respirer ?

Nous entendons encore – comment l’oublier ? – cette fille, âgée à peine de 7 ans, nous décrire ses rêves de pouvoir enfin changer de climat et de logement afin d’accueillir ses amies, voir des oiseaux se percher et chanter sur l’arbre de « son » jardin, sa chambre illuminée par la clarté du jour, son frère joyeux dans sa « propre » chambre – et voir, enfin, sa mère heureuse de ne plus se soucier de « leur » habitat. Oui, nous l’entendons encore ! Oui, mais qui d’autre l’entend ?

Concluons. « “Et ces chambres et ces réduits ! Se peut-il qu’en sortent et qu’y entrent de vrais hommes ?” Et Zarathoustra demeurait immobile et il réfléchissait. Dit enfin, chagriné : “ Tout a rapetissé !“ »

Selon Nietzsche, le monde dans lequel nous vivons est peuplé de « niveleurs » qui s’évertuent à réduire les êtres parlants à du « bétail humain », bon non pour l’abattoir, mais les abris-dortoirs ! Ils rêvent, ces niveleurs, que ces êtres « courberont l’échine », s’identifieront, corps et âme, au monde « rapetissé » qu’ils promeuvent. L’appel de « nos » cas témoigne du contraire ! Que les niveleurs le sachent s’ils ne veulent pas qu’un jour leur absence de considération des êtres parlants, des habitants, fasse retour dans la réalité sous la forme de tragiques « fait divers » !

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